Composants français dans les missiles russes : quand nos technologies tuent en Ukraine

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, des missiles et drones russes, responsables de milliers de morts, contiennent des composants électroniques français. C’est ce que nous apprend l’enquête « Le grand marché, enquête sur le business mondial de la guerre » de Benjamin Jung. Malgré les sanctions internationales visant à limiter l’accès de la Russie aux technologies critiques, certaines entreprises françaises continuent de voir leurs produits liés à ces armements meurtriers.

Le bilan humain en Ukraine, plus de deux ans après le début de la guerre à grand échelle, est tragique. Selon le Wall Street Journal, environ 80 000 personnes ont perdu la vie, et près de 400 000 autres ont été blessées. La cause principale : les bombardements incessants des forces russes, qui frappent sans répit les infrastructures et les civils. Ces attaques sont en partie permises par la capacité de la Russie à contourner les sanctions imposées, notamment en ce qui concerne l’importation de composants électroniques essentiels à la fabrication de leurs armements.

Les récentes attaques témoignent de cette résilience industrielle. La Russie a intensifié ses frappes en lançant, rien qu’au cours des dernières semaines, 640 drones Shahed sur des villes ukrainiennes. Volodymyr Zelensky a, à plusieurs reprises, dénoncé la facilité avec laquelle la Russie obtient encore des composants étrangers pour alimenter sa machine de guerre.

Si la majorité des composants électroniques retrouvés dans les missiles et drones russes sont américains, avec des entreprises comme Texas Instruments, Xilinx ou Analog Devices parmi les fournisseurs, d’autres grandes firmes internationales sont également mises en cause. Des entreprises japonaises comme Sony, canadiennes comme Tallysman, ou encore européennes comme Epcos (Allemagne) et NXP (PaysBas) voient leurs produits intégrés dans les systèmes d’armements russes. Mais le plus inquiétant est que des composants français sont aussi identifiés dans ces armes.

Parmi les entreprises françaises citées, on retrouve notamment STMicroelectronics et Lynred. STMicroelectronics, acteur majeur du secteur électronique avec ses 51 000 salariés et un chiffre d’affaires de 15,4 milliards d’euros en 2023, est détenue à hauteur de 27,5% par BPI France et l’État italien qui sont ses deux principaux actionnaires à parts égales. Des documents douaniers révèlent que des composants de cette entreprise ont été exportés en Russie même après le début de la guerre, parfois via des sociétés basées en Chine, contournant ainsi les sanctions.

Lynred, spécialisée dans les capteurs thermiques, est un autre exemple. Ces capteurs sont cruciaux pour les drones utilisés dans les frappes russes, agissant comme les « yeux » de ces machines en désignant les cibles des bombardements. Ainsi, le capteur Pico 640, fabriqué par Lynred, équipe le drone Orlan-10, une arme redoutable utilisée par l’armée russe pour identifier des cibles depuis 5 000 mètres d’altitude. Le cerveau est chinois, le moteur est japonais, le système de communication est américain, le système de positionnement est suisse, mais ses « yeux » sont bel et bien français.

Les entreprises françaises comme Thales et Safran, également citées, assurent de leur côté respecter les sanctions. Pourtant, des flux commerciaux continuent d’alimenter la Russie, soulevant des interrogations légitimes sur le contrôle et l’efficacité de ces sanctions.

Pour comprendre comment la Russie parvient à contourner ces sanctions et maintenir l’approvisionnement en composants critiques, l’enquête « Le grand marché, enquête sur le business mondial de la guerre » de Benjamin Jung est une lecture incontournable. Ce livre met en lumière la manière dont l’industrie européenne de la défense est exploitée par la Russie pour continuer à semer la mort en Ukraine.

Il est crucial que ces révélations alertent l’opinion publique et les décideurs sur les failles des sanctions et la complicité involontaire de certaines entreprises européennes dans cette guerre. Il en va de la responsabilité de tous de mettre fin à ces crimes de guerre et d’œuvrer pour la paix.

Photo de couverture : Bakhmut par Playshko (Shutterstock)